L'âme concupiscible et irrationnelle.
Pour la partie de l’âme qui a l’appétit du manger et du boire et de tout ce que la nature du corps lui rend nécessaire, les dieux l’ont logée dans l’intervalle qui s’étend entre le diaphragme et le nombril, et ont construit dans tout cet espace une sorte de mangeoire pour la nourriture du corps, et ils ont enchaîné là cette partie, comme une bête sauvage, mais qu’il faut nourrir à l’attache, si l’on veut qu’il existe une race mortelle.
C’est donc pour que, paissant toujours à sa mangeoire et logée le plus loin possible de la partie qui délibère,elle causât le moins de trouble et de bruit et laissât la partie meilleure délibérer en paix sur les intérêts communs à tous et à chacun, c’est pour cela que les dieux l’ont reléguée à cette place.p154
Le foie, miroir de la pensée
Et parce qu’ils savaient qu’elle ne comprendrait pas la raison et que, même si elle en avait d’une manière ou d’une autre quelque sensation, il n’était pas dans sa nature de s’inquiéter des raisons, et que jour et nuit elle serait surtout séduite par des images et des fantômes, les dieux, pour remédier à ce mal, composèrent la forme du foie et la placèrent dans la demeure où elle est. Ils firent le foie compact, lisse, brillant et doux et amer à la fois, afin que la puissance des pensées qui jaillissent de l’intelligence allât s’y réfléchir comme sur un miroir qui reçoit des empreintes et produit des images visibles.
Le foie dans tous ses états
Elle pourrait ainsi faire peur à l’âme appétitive, lorsque, faisant usage d’une partie de l’amertume qui lui est congénère, elle se présente, terrible et menaçante, et que, la mêlant vivement à travers tout le foie, elle y fait apparaître des couleurs bilieuses, qu’en le contractant, elle le rend tout entier ridé et rugueux, et qu’en courbant et ratatinant le lobe qui était droit et en obstruant et fermant les réservoirs et les portes du foie, elle cause des douleurs et des nausées.
Mais, lorsqu’un souffle doux, venu de l’intelligence, peint sur le foie des images contraires et apaise son amertume, en évitant d’agiter et de toucher ce qui est contraire à sa propre nature, lorsqu’il se sert pour agir sur l’âme appétitive d’une douceur de même nature que celle du foie, qu’il restitue à toutes ses parties leur attitude droite, leur poli et leur liberté, il rend joyeuse et sereine la partie de l’âme logée autour du foie et lui fait passer honorablement la nuit en la rendant capable d’user, pendant le sommeil, de la divination, parce qu’elle ne participe ni à la raison ni à la sagesse. p155
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Le foie, organe de la divination
C’est ainsi que ceux qui nous ont formés, fidèles à l’ordre de leur père, qui leur avait enjoint de rendre la race mortelle aussi parfaite qu’ils le pourraient, améliorèrent même cette pauvre partie de notre être en y mettant l’organe de la divination, pour qu’elle pût toucher en quelque manière à la vérité.
Ce qui montre bien que
Dieu a donné la divination à l’homme pour suppléer à la raison,
c’est qu’aucun homme dans son bon sens n’atteint à une divination inspirée et véridique ;
il ne le peut que pendant le sommeil, qui entrave la puissance de l’esprit,
ou quand sa raison est égarée par la maladie ou l’enthousiasme.
C’est à l’homme dans son bon sens qu’il appartient de se rappeler et de méditer les paroles prononcées en songe ou dans l’état de veille par la puissance divinatoire ou par l’enthousiasme,
de soumettre à l’épreuve du raisonnement toutes les visions aperçues et de chercher comment et à qui elles annoncent un mal ou un bien futur, passé ou présent. p156 |
Mais quand un homme est dans le délire et qu’il n’en est pas encore revenu, ce n’est pas à lui à juger ses propres visions et ses propres paroles et le vieux dicton a raison qui affirme qu’il n’appartient qu’au sage de faire ses propres affaires et de se connaître soi-même.
Des prophètes et des devins
C’est pourquoi la loi a institué la race des prophètes pour juger les prédictions inspirées par les dieux.
On leur donne parfois le nom de devins : c’est ignorer totalement qu’ils sont des interprètes des paroles et des visions mystérieuses, mais non pas des devins :
le nom qui leur convient le mieux est celui de prophètes des choses révélées par la divination.
Voilà pour quelle raison le foie a la nature et la place que nous disons ; c’est pour la divination.
Ajoutons que c’est dans le corps vivant qu’il donne les signes les plus clairs.
Privé de la vie, il devient aveugle et ses oracles sont trop obscurs pour avoir une signification précise.
Fonction des viscères, de la rate,
Quant au viscère voisin, il a été fabriqué et placé à gauche en vue du foie, pour le tenir toujours brillant et pur, comme une éponge disposée en vue du miroir et toujours prête pour l’essuyer. p157 |
C’est pourquoi, lorsque des impuretés s’amassent autour du foie par suite des maladies du corps, la substance poreuse de la rate les absorbe et les nettoie, parce qu’elle est tissée d’une matière creuse et exsangue.
Il s’ensuit que, lorsqu’elle se remplit de ces rebuts, elle grossit et s’envenime, et qu’au rebours, quand le corps est purgé, elle se réduit et retombe à son volume normal.
En ce qui regarde l’âme, ce qu’elle a de mortel et ce qu’elle a de divin, comment, en quelle compagnie et pour quelle raison ses deux parties ont été logées séparément, avons-nous dit la vérité ?
Pour l’affirmer, il faudrait que Dieu confirmât notre dire.
Mais que nous ayons dit ce qui est vraisemblable, dès à présent et après un examen encore plus approfondi, nous pouvons nous hasarder à l’affirmer. Affirmons-le donc.
Maintenant il faut poursuivre de la même façon la suite de notre sujet, c’est-à-dire la formation du reste du corps.
Voici d’après quel raisonnement il conviendrait surtout de l’expliquer. Les auteurs de notre espèce avaient prévu quelle serait notre intempérance à l’égard du boire et du manger et que, par gourmandise, nous consommerions beaucoup plus que la mesure et le besoin ne l’exigeraient. p158 |